C’est le premier jour de l’été. Si l’on en croit l’éphéméride, du moins. Non loin de l’Hôtel du Nord, c’est de circonstance, on rejoint Riton Liebman dans une brasserie où le comédien et auteur a manifestement ses habitudes. Il semble y connaître tout le monde, taille une petite bavette avec deux dames installées près de notre table, tandis que quelques habitués décrochent du zinc pour venir le saluer. « Réputation non usurpée, je suis bien la vedette du quartier ! », commente-t-il avec ironie…
Riton Liebman : Ce livre, ce fut d’abord un manuscrit qui prit la forme d’un texte de spectacle avant de se transformer en roman… Enfin un roman… C’est moi, carrément moi, qu’on retrouve dans ces pages ! Tout est vrai, certes un tantinet décalé parfois, il y a un peu de montage : j’ai, par exemple, regroupé plusieurs personnages en un. Je n’avais, en fait qu’une idée claire en tête : ne surtout pas sombrer dans le pathos et le psychologique ! Reste qu’à un moment, j’ai commencé à en avoir ras-le-bol de cette suite d’anecdotes me concernant. J’anticipais les réactions : « Comment ose-t-il encore parler de lui ? Mais qu’il est gonflé ! » (Rires.)
En tout cas, vous ne cachez rien de votre jeunesse tumultueuse avec ses hauts et ses très bas…
Disons que je me traite mal bien ou bien mal ! (Sourire.) Mais vous remarquerez que s’il m’arrive de balancer, je le fais sans rancœur et sans méchanceté. Car je ne regrette absolument rien. Je rejette les regrets comme la victimisation, très en vogue actuellement.
Regretter quoi d’ailleurs ? Vous le dites vous-même à la page 118 du livre, alors que vous vous trouvez dans les toilettes des Bains-Douches : « J’ai dix-huit ans et Prince pisse à côté de moi. J’ai réussi ma vie. »
Ouais enfin, ça, c’est pour la boutade…
Quelles sont vos admirations littéraires ? Vous évoquez Jack London au détour d’un chapitre, La Cerisaie de Tchekhov…
On ne peut pas dire que je sois un grand lecteur. J’ai un vieux copain qui me nourrit régulièrement avec de la littérature américaine, notamment des polars. Mais j’ai remarqué que dans pas mal de fictions, Martin Eden est souvent le premier livre dont on fait, jeune, l’acquisition.
On pense plutôt, en lisant le vôtre, à un autre classique américain, L’Attrape-Cœurs. Il y a quelques similitudes entre le jeune Riton Liebman et Holden Caulfield, deux gamins un peu paumés, à l’humeur vagabonde, livrés à eux-mêmes, touchants…
Je vous laisse la responsabilité de ce parallèle flatteur : je n’ai pas lu Salinger.
Le livre couvre la période de votre addiction à l’héroïne…
Cette période de came s’est étirée de mes quinze ans à mes trente. Le bouquin se conclut alors que j’entame ma cure de désintoxication. Au moment d’arrêter l’héro, j’étais encore dans les rêves, je planais. J’imaginais que j’allais me sevrer avec des gens comme Gainsbourg ou Renaud…
J’ai fini par aimer le discours sur l’abstinence. Je me rends d’ailleurs régulièrement toujours aux réunions des AA. C’est un besoin.
Lorsque j’ai monté mon premier spectacle, épisode que j’évoque dans le livre, je n’étais pas encore clean, je me mentais. Quand j’ai finalement décidé de me prendre en main, je me suis dit : « Je vais arrêter de me droguer, et tout redeviendra comme avant. » Sauf que ce n’est jamais revenu comme avant… Ma mauvaise réputation dans le milieu du cinéma m’a fait perdre la petite notoriété que j’avais. J’ai pas mal galéré, j’ai même eu deux ans de trou. Heureusement qu’à ce moment-là, ma maman a pu me venir en aide…
Quelle est finalement votre activité favorite ? Le cinéma ? Le théâtre ? L’écriture ?
(Catégorique.) Écrire ! Acteur de cinoche, on se fait chier. On passe son temps à attendre. La scène a évidemment quelque chose de plus immédiat. Mais l’écriture, c’est vraiment ce qui me plaît le plus. Même s’il faut parfois que je me mette en condition pour écrire. J’ai eu un jour un projet de bouquin et me suis alors mis en tête de fréquenter avec assiduité les musées. Qui n’étaient qu’un prétexte, je n’en avais pas grand-chose à fiche, au fond, des musées ! Mes trois heures d’écriture quotidienne, ici, au bistrot, voilà ce qui me donne l’impression d’avancer, de faire le ménage, même si, je dois le reconnaître, je suis plutôt d’un naturel glandeur. Et pas un grand fan, non plus, de promo. Je n’ai pas l’impression alors d’être très constructif. Je me dis que je devrais écrire plutôt que répondre à des questions et parler. Surtout de moi : « Comment ose-t-il ? » (Sourire.)
Votre texte dégage quelque chose de très fluide. Cette simplicité vous vient naturellement sous la plume ou vous retravaillez beaucoup ?
Le manuscrit, le premier jet, c’était un bloc immangeable et… imbuvable ! J’ai écrit mon histoire en deux mois. Mais ça m’a pris dix ans pour corriger, peaufiner, élaguer, tailler. Enfin, dix ans, pas à plein temps, tout de même ! Comme un sculpteur avec son bloc de glaise, j’essaye de dégrossir et d’affiner. Et je suis très sensible au rythme. La musique m’a toujours inspiré, j’en parle pas mal d’ailleurs dans le bouquin. J’aurais pu être musicien, un assez bon bassiste, je crois, oui, que je m’en serais sorti. La première chose sur laquelle j’ai écrit, c’était ma cure de désintox. Et cette partie du manuscrit, je compte bien la retravailler dès cet été pour donner une suite à La Vedette du quartier.
Vous dites que le métier d’acteur bien fait, c’est comme si on se faisait des passes au foot sans se regarder…
Je n’ai jamais nourri une passion viscérale pour le cinéma ou les acteurs. Le cinéma, c’est un milieu vraiment particulier. Je dois bien avoir une centaine de films ou de téléfilms à mon actif désormais, une certaine expérience. Et j’ai pas mal de copains dans le métier. Mais les potes réalisateurs, s’ils sont toujours présents pour aller boire, bouffer ou raconter des conneries, je les croise moins sur ma route quand il s’agit de travailler… J’ai finalement assez peu bossé avec des copains. Mes références sont assez peu cinématographiques. Mon admiration est toujours allée aux footballeurs, aux cyclistes, de Merckx à Van Aert qui m’impressionnent plus que les vedettes du cinoche.
Vous avez d’ailleurs tourné un film il y a une dizaine d’années traitant de votre passion pour le foot, tranche de vie d’un supporter fanatique du Standard de Liège. Avez-vous d’autres projets de réalisation en vue ?
J’ai un scénario dans les tiroirs. L’histoire d’un professeur plongé dans une crise amoureuse obsessionnelle dans un train pour Auschwitz. Je n’ai pas trouvé de financement mais je ne renonce pas.
Les conditions du moment se prêtent elles à des projets un peu hors tranche ou borderline ?
Je vous vois venir et je vous arrête tout de suite. J’ai remarqué que mon bouquin a été plutôt bien accueilli par la presse de droite. Pourquoi ? Parce que concernant Préparez-vos mouchoirs, j’ai beaucoup entendu la rengaine, très en vogue actuellement, sur « ces films (ou ces livres) qu’on ne pourrait plus faire aujourd’hui. » Et je ne veux surtout pas rentrer là-dedans, adhérer à ce discours. Je veux bien être vieux, je veux bien être con, mais certainement pas devenir un vieux con ! Je pense qu’il a toujours été compliqué de monter des projets singuliers. La légende d’Hollywood s’est bâtie sur des batailles homériques pour obtenir un budget et produire des choses qui sortaient des chemins balisés. Et puis Albert Dupontel ou Quentin Dupieux, pour ne citer qu’eux, continuent à proposer des films très originaux.
Les cinéastes belges proposent également souvent au public français des ovnis. On pense par exemple au choc que fut C’est arrivé près de chez vous lorsqu’il débarqua sur nos écrans…
Ah, la belgitude, maintenant ! Notre côté légèrement cintré. Ça aussi, ça a tendance à m’agacer ! Cela m’apparaît toujours comme la réaction type du Français un peu condescendant à notre égard.
Et Bertrand Blier ?
Avec Blier, on s’est revu bien après Préparez vos mouchoirs. Je me souviens d’un dîner durant lequel il n’a parlé que de lui ! Des difficultés qu’il affrontait pour monter ses films. Mais il est venu voir mon spectacle…
Vous dites qu’il a songé voulait faire avec vous ce que Truffaut avait fait avec Léaud…
Je n’ai jamais vraiment « accompagné » de metteurs en scène. À part, Boisset, peut-être. Malgré une première collaboration avec lui plutôt rock’n’roll, relatée dans le livre, j’ai ensuite tourné avec lui Le Pantalon. Boisset est un chic type. Mais le pauvre a fini sa carrière en tournant un téléfilm avec Bernard Tapie. Et celui-ci n’a, évidemment, pas pu s’empêcher de lui expliquer comment on mettait en scène ! Comme Blier, Boisset, en bout de course, a eu du mal à monter des projets personnels…
Et le fameux Florent, chanteur populaire que vos lecteurs reconnaîtront sans peine, avec qui vous avez fait les quatre cents coups dans votre jeunesse et dont vous faites un des personnages principaux du livre ?
Je lui ai bien entendu envoyé le bouquin. Mais je n’ai toujours pas de nouvelles…
Toujours supporter hardcore du Standard de Liège, vous le Bruxellois ?
Oui mais le Standard, en ce moment, c’est la cata. Putain, on n’a rien contre le fait de se faire acheter, mais au moins, qu’on se fasse acheter par des riches !
Et la suite ?
On recommence toujours à zéro. Rien n’est jamais garanti, rien ne dure. L’an passé, j’ai été recruté comme professeur au Cours Florent. Mais je ne suis pas certain d’être reconduit. Je vis en permanence avec la pénible impression de me tirer des balles dans le pied…